La Jaguar MK2 au cinéma
« Les cons ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnait » Lino Ventura dans les Tontons flingueurs de Georges Lautner.
Lino Ventura, le plus italien des acteurs Français, lutteur professionnel (champion d'Europe poids moyens en 1950), puis catcheur avant de devenir par hasard acteur aux côtés de Jean Gabin en 1954, a côtoyé durant sa carrière cinématographique les plus grands acteurs du moment. Sa carrure et son exceptionnel naturel (il n’a jamais pris de cours de comédie) sont un atout pour des rôles de personnages à fort caractère. Mais dans la vie, Lino Ventura était tout autre. Charles AZNAVOUR dira de lui : « Lino était un être d’une extrême sensibilité ». Lino Ventura en photo devant sa propre Jaguar MK2 qui fut utilisée dans une scène du film "Les Tontons flingueurs". Lino Ventura ne roulait jamais vite, il s’arrêtait au stop et mettait son clignotant avant de tourner. Image d’un homme prudent qui contraste avec ses rôles de bagarreur.
Quand l'élégance britannique sublime le septième art français
Dans l'univers feutré des studios de Boulogne, une silhouette féline glisse sous les projecteurs. Chromés étincelants, capot bombé, cette Jaguar MK2 n'attend pas seulement le clap de fin : elle incarne déjà l'âme du film. Depuis les années 1960, cette berline d'exception transcende son statut d'automobile pour devenir un personnage à part entière du cinéma français, symbole d'un art de vivre où se mêlent raffinement britannique et sophistication hexagonale.
L'icône des années 1960 : naissance d'une légende cinématographique
La Jaguar MK2, lancée en 1959, arrive à point nommé dans un cinéma français en pleine révolution. La Nouvelle Vague bouleverse les codes, et les réalisateurs cherchent des objets qui incarnent cette modernité naissante. Avec ses lignes fluides dessinées par Sir William Lyons et son moteur XK6 de 3,8 litres, la MK2 répond parfaitement à cette quête d'authenticité.
Jean-Luc Godard la remarque immédiatement. Dans "À bout de souffle" (1960), bien qu'elle n'apparaisse qu'furtivement, la Jaguar devient le symbole d'une certaine idée du style. Michel Poiccard, incarné par Jean-Paul Belmondo, rêve de cette automobile de prestige qui représente l'aboutissement de ses ambitions de petit voyou parisien. La caméra s'attarde sur ses courbes, révélant une complicité évidente entre le réalisateur et cette mécanique d'exception.
François Truffaut, autre figure emblématique de la Nouvelle Vague, comprend rapidement le potentiel narratif de cette berline. Dans "Tirez sur le pianiste" (1960), la MK2 devient le véhicule de l'intrigue, littéralement et métaphoriquement. Ses sièges en cuir Connolly et son tableau de bord en ronce de noyer créent un écrin de luxe qui contraste avec la violence des situations, sublimant chaque séquence par sa seule présence.
Un art de vivre à la française sublimé par l'excellence britannique
Au-delà de sa beauté plastique, la Jaguar MK2 incarne un art de vivre à la française teinté de sophistication britannique. Cette dualité culturelle fascine les cinéastes hexagonaux, qui y trouvent un reflet de leurs propres aspirations artistiques : l'alliance de la tradition et de la modernité, de l'artisanat et de la performance.
Claude Lelouch, maître de l'émotion automobile, utilise magistralement cette dimension dans "Un homme et une femme" (1966). Bien que Jean-Louis Trintignant conduise principalement une Ford Mustang, les séquences avec la Jaguar MK2 d'Anouk Aimée révèlent une autre facette du personnage. L'intérieur feutré de la berline devient un confessionnal mobile où se nouent les confidences, tandis que le ronronnement du six-cylindres accompagne les silences lourds de sens.
Cette capacité à créer l'intimité explique pourquoi la MK2 devient rapidement l'automobile de choix pour les scènes de dialogue. Son habitacle spacieux, rare pour l'époque, permet aux cadreurs de jouer avec les angles, tandis que l'insonorisation remarquable garantit une prise de son optimale. Les techniciens du cinéma français découvrent ainsi une voiture d'exception parfaitement adaptée aux exigences du septième art.
L'âge d'or des années 1970-1980 : quand la MK2 devient incontournable
Les années 1970 marquent l'apogée de la Jaguar MK2 au cinéma français. Devenue vintage sans être démodée, elle incarne désormais un certain classicisme, une valeur refuge dans un monde en mutation. Les réalisateurs l'utilisent pour signifier l'appartenance sociale de leurs personnages, mais aussi leur rapport au temps et à la beauté.
Bertrand Tavernier, dans "L'Horloger de Saint-Paul" (1974), confie une MK2 à Philippe Noiret. Le choix n'est pas anodin : cette berline reflète la personnalité du personnage, homme de métier attaché aux belles mécaniques et aux finitions soignées. Chaque plan révèle un détail : les jantes à rayons, les poignées chromées, l'emblème bondissant sur le capot. La caméra caresse littéralement cette mécanique, révélant un fétichisme assumé pour l'objet automobile.
Claude Chabrol, observateur acéré de la bourgeoisie française, fait de la MK2 un marqueur social récurrent dans son œuvre. Dans "La Femme infidèle" (1969), la Jaguar de Michel Bouquet traduit une réussite professionnelle teintée de mélancolie. L'automobile devient le miroir des non-dits conjugaux, témoin silencieux des tensions qui traversent le couple bourgeois.
Cette période voit également naître une véritable expertise technique autour de la MK2. Les loueurs spécialisés développent des versions "cinéma" : moteurs préparés pour les scènes d'action, intérieurs renforcés pour supporter l'équipement de prise de vues, carrosseries restaurées selon les canons de l'époque. Une expérience en voiture de collection naît ainsi dans l'ombre des plateaux, préfigurant les services premium d'aujourd'hui.
Héritage contemporain : la MK2 et le cinéma d'auteur moderne
Le cinéma français contemporain entretient toujours une relation privilégiée avec la Jaguar MK2, mais sous un angle renouvelé. Les réalisateurs actuels l'utilisent moins comme symbole de réussite sociale que comme évocation d'un temps révolu, support de nostalgie créatrice.
Olivier Assayas, dans "Irma Vep" (1996), filme une MK2 avec la distance ironique qui caractérise son œuvre. L'automobile devient métaphore du cinéma français lui-même : objet de fascination internationale, témoin d'un âge d'or révolu, mais conservant intact son pouvoir de séduction. Cette approche méta-cinématographique révèle la maturité du regard français sur son propre patrimoine automobile.
Plus récemment, des réalisateurs comme Arnaud Desplechin ou Cédric Klapisch redécouvrent la MK2 sous l'angle de l'authenticité. Dans un monde saturé d'images numériques, cette mécanique analogique retrouve une vérité que recherchent les cinéastes. Son bruit, ses vibrations, sa gestuelle spécifique redeviennent des éléments narratifs à part entière.
Cette renaissance s'accompagne d'une professionnalisation accrue des services dédiés au cinéma. Les expériences client exclusives développées par des spécialistes permettent aujourd'hui aux productions d'accéder à des véhicules parfaitement préparés, restaurés selon les standards muséaux mais adaptés aux contraintes du tournage.
Conclusion : l'éternelle modernité d'une icône
La Jaguar MK2 au cinéma français révèle bien plus qu'une simple passion automobile : elle témoigne d'une conception particulière de l'art et de la beauté. En choisissant cette berline britannique, les réalisateurs hexagonaux affirment leur goût pour l'excellence et leur respect de l'artisanat.